12

Le gouvernement réinvente les régimes spéciaux

Le gouvernement, après avoir annoncé un système de retraite universel, est en train de démontrer par l’absurde que ce n’est pas possible. Il nous a promis de réunir 42 régimes différents en un seul régime « universel », universel étant ici dans le sens « appliqué à tous ». Or il est en train de créer un régime unique, avec 42 (voire plus) catégories d’affiliés traités différemment. C’est déjà un échec total, dont il devrait tirer rapidement les conclusions afin de remettre la France « En Marche ».

LES RÉGIMES SPÉCIAUX RÉINVENTES

Alors qu’il n’y a encore aucun texte, chaque jour naissent de nouvelles dérogations, pour ne pas dire des privilèges, certains d’entre eux étant supérieurs aux actuels !

Les policiers, outre l’âge de départ qui reste le même, ont obtenu une surcotisation de la part de leur employeur, le ministère de l’Intérieur.

Les pompiers, douaniers, gardiens de prison seront logés à la même enseigne.

Les pilotes, hôtesses et stewards vont pouvoir partir à 60 ans et conserveront leur caisse complémentaire avec ses cinq milliards de réserves.

La RATP et la SNCF se sont vu proposer des dispositions différentes de celles des salariés du régime général, et ce n’est sans doute pas fini.

Même chose pour les aide-soignants et infirmiers qui commencent à se détacher du droit commun.

Le Premier ministre s’est engagé le 11 décembre pour que la retraite des enseignants soit sanctuarisée, au moins identique à aujourd’hui.

Les marins auront les assurances qu’ils souhaitent a aussi affirmé le Premier ministre.

Les routiers ont obtenu le 16 décembre de Mme Elisabeth Borne de pouvoir partir 5 ans avant les autres.

RETRAITE OU PENSION ?

Le 20 décembre Emmanuel Macron affirmait en Côte d’Ivoire que quand on est militaire, on ne touche pas de retraite mais on a une pension. Cette phrase n’est pas anodine et est à rapprocher de celle relevée dans les écrits du syndicat majoritaire des contrôleurs aériens : « Les contrôleurs aériens ne sont pas concernés par la fin des régimes spéciaux, car leur pension dépend du régime général de la fonction publique. À ce stade, les contrôleurs aériens sont entendus et écoutés : l’heure n’est pas à la grève ». Seuls les régimes spéciaux (plusieurs dizaines, le plus petit étant le port autonome de Strasbourg) seraient « supprimés », mais la fonction publique, c’est à dire les fonctionnaires, qui ne touchent pas de retraite mais une pension et n’ont pas de caisse de retraite, ne seraient-ils pas concernés ? Ce serait un peu gros, mais ces déclarations, qui ne sont pas des déclarations de n’importe qui, vont dans ce sens. A suivre, d’autant plus qu’on ne les entend pas beaucoup en ce moment. Ceci expliquerait cela ?

On nous propose la fin des privilèges, mais on en crée d’autres. Qui paiera ces privilèges dans un régime « universel » ? Les autres cotisants, qui eux n’auront pas ces privilèges.

En ce qui concerne la pénibilité, notion très floue permettant de justifier des concessions pour des professions bien moins pénibles que celles de salariés du privé, j’ai déjà dit ce que j’en pensais ici (/2019/09/29/reforme-des-retraites-de-la-penibilite/ ) : c’est détourner un salaire qui n’est pas à la hauteur de la profession, vers une (promesse de) retraite (dont ne bénéficieront pas ceux qui auront pris le plus de risques), qui elle ne sera pas financée par l’employeur. Un détournement de fonds. Pourtant plus de salaire = plus de points, et plus de points = plus de retraite, permettant de partir plus tôt librement, sans que cela soit un privilège mais une démarche personnelle et responsable. Notons au passage que nombre de ces professionnels « usés » partant plus tôt que les autres, se précipitent vers une seconde profession, touchant salaire + pension (qui dans l’esprit est la compensation de l’absence de travail et donc de revenu), le cumul des deux occasionnant ensuite une seconde retraite, le tout étant un privilège supplémentaire, différent de la prise de retraite avancée pour pénibilité. Tout ceci persistera et sera aggravé.

Que penser des dernières concessions en date pour les petits rats de l’Opéra, métier « dangereux » (sic). La Comédie Française, de même statut, va suivre. Pourquoi dans le privé on parle de mobilité du travail, en expansion, l’ANPE vous proposant de changer d’activité, alors que pour d’autres, cette « mobilité », connue et librement choisie au départ, doit être prise en charge par la société ? Les sportifs professionnels, le temps venu, changent de métier sans nous demander de les prendre en charge à vie.

VERS LA CESSATION DE PAIEMENT

Parmi les concessions accordées de plus en plus largement, se trouve le recul de la génération devant entrer dans le régime universel. Cela paraît anodin comme cela, mais c’est en pratique financièrement et politiquement une mesure qui n’a rien d’anodin, au contraire.

Financièrement le passage d’un régime à un autre doit se faire pour tous, au même moment. Il ne peut y avoir de décalage, on ne peut pas laisser les anciens dans un régime, et mettre les nouveaux arrivants, à partir d’une génération x, dans un nouveau régime. Je vais vous expliquer pourquoi.

Cela revient, c’est ce que font les dernières propositions, à faire cohabiter les 2 systèmes pendant plusieurs années, 10 ou 15 ans. Les caisses actuelles vont continuer à s’occuper des cotisants et des retraités à partir de telle génération, et les plus jeunes vont passer dans le régime universel.

Maintenant expliquez-moi comment les caisses actuelles, qui vont donc prolonger un peu plus longtemps que prévu, vont faire pour payer les retraites sans l’arrivée de nouveaux cotisants qui seront dans le régime universel ? En répartition, ce sont les cotisants de l’année qui financent les retraites de l’année, il n’y a pas d’autre source de financement. Si vous supprimez les nouveau cotisants, les caisses seront très rapidement en cessation de paiement ! Si elles ont des réserves, elles vont s’épuiser très rapidement. Même sans caisse de retraite, le coût financier est le même mais masqué, car les retraites, elles, sont payées.

Avec ce moonwalk de la génération de départ, ce sont les retraites de tous ceux qui ne seront pas concernés par l’universel qui vont faire un plongeon. Plongeon dans le vide car pas de projection. Un audit indépendant devient plus que jamais nécessaire face aux promesses de plus en plus délirantes.

LA LOI DU PLUS FORT

Politiquement, repousser de 15 ans l’application d’une mesure non souhaitée, c’est faire en sorte qu’elle ne soit pas appliquée. Dans ces 15 ans, nombre de gouvernements vont se succéder, subiront la pression de la rue, et par électoralisme feront des concessions. En 1945, tous ceux qui n’ont pas voulu rentrer dans le système de suite, tous ceux à qui l’on a accordé un répit sont devenus les régimes spéciaux, persistants 75 ans plus tard. L’histoire se répète.

D’un côté ceux qui sont capables de nuire aux autres, de l’autre le reste du peuple. Une république, une démocratie, ce n’est pas la loi du plus fort. En France, si.

Cette réforme est en train de tourner en une vaste farce, et les auteurs autistes ne le voient pas. Pour les coûts, n’en parlons pas. Déjà pour les premières mesures concernant les régimes spéciaux il y a quelques années, la Cour des Comptes avait fait un bilan après 10 ans, pour constater que les avantages donnés en échange de leur acceptation, avaient coûté plus cher que les économies escomptées. Aujourd’hui, alors qu’on en est qu’au début, la commission des affaires sociales annonce pour ces concessions, des milliards qu’elle n’arrive pas à comptabiliser.

Les Français qui aspiraient à plus d’égalité méritent mieux qu’une farce.

Gérard Maudrux

Répondre à Gérard Maudrux Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

12 commentaires

  1. Il faut d’urgence retirer cette réforme qui va nous couter beaucoup plus cher que le système actuel. Et se concentrer uniquement sur le financement futur de ce système. Dans ce pays, chaque fois qu’une réforme est entreprise par le gouvernement elle pèse lourdement sur nos dépenses publiques! Qui peut nous donner un contre exemple durant les dern!ères décennies?

  2. Merci pour vos articles toujours intéressant. On a donc bien compris que c’etait le bon gros bazar et que chacun tire la couverture à soi et se regarde le nombril pour conserver les acquis et pourrir la tentative de réforme. Maintenant concrètement à notre niveau ( médecin de base ) faudrait peut être déjà voir où on est puisque ça ne semble pas mieux les uns se battent pour les réserves les autres trouvent que le situation actuelle est très bien comme cela d’autres encore sont obsédés par la sacro-sainte ASV …. bref on a aussi l’impression que dans notre profession chacun est intéressé par quelques chose de différent … et au bout du compte ou en est on ? On a toujours une des cotisations la plus élevée de France ( voir la plus élevée ? Dites moi si je me trompe ) avec un taux de prélèvement de 38% … on a un rapport démographique complètement pourri donc on ne peux pas compter là dessus pour faire baisser le taux de cotisation , les autres pensent que l’ASV est la chose là meilleure pour les médecins depuis l’invention du stéthoscope ( vous le direz si la cpam refuse l’augmentation des tarifs faut bien trouver une compensation mais celle la relève plus de la tromperie vu la hausse constatée ) … bref la baisse de nos cotisations qui serait plus que la bienvenue ne semble pas pour demain … pire … au lieu de stagner je crois bien que cela continuera d’augmenter … la seule façon de voir ces prélèvements baisser semble être la réforme proposée .. même si ça ne plait pas à tout le monde

    • Si on est objectif et que l’on a bien compris, comme vous, la réforme est le seul et un bon moyen de ramener la cotisation à un taux (plus) acceptable. Je l’ai aussi écrit et surtout dit au Conseil d’Administration de la caisse, quand certains proposaient d’accepter la réforme en mettant dans les 28% le RB + ASV, en gardant le RC en plus du régime universel. Je m’y suis fermement opposé avec les mêmes arguments que vous concernant cette cotisation trop élevée.
      Maintenant il y a des contreparties à cette baisse : la retraite baisse nettement plus que la cotisation en proportion, et deuxième point : la gestion par l’Etat. On a vu ce que cela a donné gestion d’Etat (+ syndicats, mais cette fois ce sera non médecins, non PL) versus Carmf, avec l’ASV et le RC. Le premier a vu la cotisation doubler et la retraite divisée par 2, alors que le second a vu + 10% et – 10%, sur la même population, avec la même chute du rapport démographique de 4 à 1,5, et sur la même période.
      Il y a donc du pour et du contre. La meilleure solution ? RB dans l’universel, RC autonome et suppression de l’ASV.

      • Merci pour votre réponse et d’avoir porté une voix d’opposition. Pensez vous que l’ASV puisse être supprimée à l’occasion de la réforme ? Peut on avoir cet espoir ? Les syndicats ne lâcheront jamais l’ASV pour eux c’est un élément incontournable de la convention avec la CPAM : les tarifs sont bloqués ou revalorisé mais pas au niveau alors on essaie de récupérer ailleurs … pour les médecins secteur 1 la prise en charge d’une partie des cotisations urssaf en est un exemple et c’est la même chose pour les cotisations retraite via l’ASV …c’est le dogme syndical c’est une doctrine .. peu importe pour eux que la cotisation ait fortement augmenté et pour un rendement qui a baissé … https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/syndicats-medicaux-grandes-manoeuvres-en-ville … voici l’état du syndicalisme médical actuel et ça fait plutôt peur ..la seule solution semble bien d’accepter la réforme en l’état au prix d’une baisse de la retraite et d’une gestion étatique .. on pourra toujours se dire que grâce à la baisse du taux permis par la réforme l’argent qui n’est pas mis en cotisation on pourra en disposer de suite et comme bon nous semble et c’est surtout ça qui compte dans le fond

        • L’ASV ne sera jamais supprimé, c’est un bon outil de pression (contrôle des revenus) pour les caisses (et les syndicats), qui leur rapporte beaucoup plus qu’il ne leur coûte.

    • Le redistribuer avant, mais s’il y a opposition du Ministère à la décision du CA, que cette opposition soit justifiée ou non, l’agent comptable ne signera pas les chèques. Il est redevable sur ses bien propres. Ensuite il faut attaquer au Conseil d’Etat la décision de la tutelle (2 à 3 ans). Les propos des autorités sur la captation de ces réserves sont très ambiguës et changeantes, montrant que cela leur pose problème sur le plan juridique. Nous avions prévu la chose il y a 20 ans et verrouillé ces provisions, elles appartiennent légalement aux affiliés, on ne peut les déposséder, et il y a une dizaine d’années il y a eu un jugement du Conseil Constitutionnel qui va dans ce sens. Belles batailles juridiques en vue s’ils persistent.

  3. Et à quoi a servi Delevoye pendant 2 ans? Comment peut il justifier son salaire vu le résultat: on découvre 2 ans plus tard tous les problèmes plus ou moins insolubles.
    Vieille marotte des bureaucrates français (j’ai vu la même chose dans les hôpitaux): plutôt que faire évoluer progressivement une organisation en s’appuyant sur les professionnels du terrain qui savent de quoi ils parlent, on préfère un grand projet sorti de leur bureau très coûteux et qui se termine comme le logiciel de paye de l’armée française.