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Réforme des retraites (6) : des réversions de dingues.

Après le rendement à 4,95% et non de 5,5%, voici une autre première que je vous réserve : le résultat de la réforme sur les réversions. On nous annonce que l’on va faire mieux, revaloriser, mais des paroles aux actes, c’est comme d’habitude le jour et la nuit.

Je lis la réforme, page 75 :« La personne veuve conservera 70% des droits à retraite dont bénéficie le couple, (soit la somme des 2 retraites) ». Mettons cela en pratique.

Cas N°1 : j’ai 1 000 € de retraite, ma femme n’en a pas, je décède, sa réversion sera donc de 700 €, pas de problème. Je note au passage qu’arrivant à la présidence de ma Caisse de Retraite, j’avais trouvé les réversions indignes d’un système qui se dit social, solidaire et généreux, mais le Ministère ne m’avait pas autorisé à les porter au-delà de 60%. Ils ont changé d’avis, tant mieux. Ce sera donc 13% de mieux (avant : 54% pour la base, 60% pour le complémentaire, moyenne 57%).

Cas N°1 bis : idem, mais c’est elle qui décède la première. L’application à la lettre de la réforme, si on lit bien la phrase ci-dessus, entraîne-t-elle une diminution de ma retraite à 70 % (70% de la somme des 2 retraites) ? On lit plus loin que « « Le montant de la réversion sera calculé par la différence entre le montant que représentent 70% des droits du couple et la retraite personnelle de la veuve ou du veuf ». Je laisse à votre sagacité la traduction de cette phrase. Question : une réversion peut-elle être négative, résultat du calcul ? Rien ne précise le contraire dans le rapport. Ce qui sauve ma retraite est le fait qu’on ne peut revenir sur une retraite liquidée, mais ce qu’a fait une loi, une autre peut le défaire, et puis ces 700€ au lieu de 1 000 correspondent exactement au principe énoncé plus haut dans le rapport : 100 pour 2 personnes = 70 pour une personne. Certes dans ce cas on peut considérer qu’il n’y a pas de réversion, mais si la retraite de ma femme était de 100 €, est-ce que je passe de 1 000 à 770 € ?

Cas N°2 : j’ai 1 000 € de retraite, ma femme 1 000 €. Avant quand l’un ou l’autre décède, le survivant avait 1 000 (droits propres) + 570 (réversion) = 1 570 €. Avec réforme, ce sera 70% de la somme des retraites, soit 1 400 €. Perte 10,8%.

Cas N°3 : cas le plus courant : j’ai 1 000 € de retraite, ma femme 500 €. Je décède. La réversion d’aujourd’hui : 500 + 570 = 1070 €. Demain : (1 000+ 500)x0,7 = 1 050 €. Baisse, non significative, mais pas mieux comme annoncé.

Cas N°3 bis : idem, mais c’est ma femme qui décide de décéder avant. Aujourd’hui : 1 000 + 350 = 1 350 €. Demain : (1 000+500)x0,7 = 1 050 €. Perte : 22%. 

Conclusion : pour une veuve ou un veuf sans revenu, il y a amélioration légitime, non faramineuse, de 13% en moyenne. Ce cas N°1 était le plus fréquent par le passé, par contre l’évolution de notre société va vers le cas N°2, en passant par la case N°3. Donc d’un gain annoncé, nous allons glisser en pratique vers une perte, cas le plus fréquent. Et là il y a un calcul à faire pour perdre moins : le revenu le plus élevé doit décéder avant l’autre. Faites donc le nécessaire…

En fait, si l’on regarde bien, objectivement, ceux qui perdent sont ceux qui aujourd’hui relèvent déjà d’une perte de la réversion, avec les conditions de ressources. Disposition assez choquante car cela retirait un droit, pour lequel on avait cotisé toute sa vie, et pas pour tous. Les conditions de ressources disparaissent dans la réforme, mais le résultat lui reste.

A côté de ce problème financier relevant du pourquoi faire simple (porter la réversion à 70%) quand on peut faire compliqué, la réforme n’en profite pas pour corriger les défauts du système liés à l’évolution de notre société. Si des veuves (et veufs) vont passer de 54-60% à 70%, d’autres vont rester sur le carreau à 0%. Pour connaître ces défauts perfectibles, encore faut-il s’adresser à ceux qui ont l’expérience, les élus des caisses, qui traitent tous les mois des centaines de dossiers difficiles dans le cadre des commissions de recours amiable et d’action sociale. Pour comprendre le problème, quelques exemples :

Le Dr X est médecin anesthésiste et directeur de clinique. Il a été marié jeune et divorce après 6 ans. Il consacre tout son temps à son métier et à la clinique, et est secondé tout ce temps par sa nouvelle compagne. Il prend sa retraite et s’occupe alors de ses problèmes personnels, et se marie après 30 ans de vie commune. Malheureusement un imprévu : il décède 2 ans plus tard. Celle qui l’a secondé, accompagné pendant 30 ans va toucher 3 fois moins (2 ans de mariage contre 6 pour la première), alors qu’ils se sont épaulés 5 fois plus longtemps. Le rapport est de 1 à 15. Est-ce juste ? Non.

Mme Y a été mariée 2 ans, puis a décidé de vivre seule. 40 ans plus tard elle a la surprise de recevoir la totalité de la pension de réversion de son ex-conjoint qui ne s’était pas remarié, bien qu’ayant vécu 40 ans avec la même femme, concubine. Pour 2 ans la première a tout (en plus de ses droits propres, sans conditions de ressource (fonction publique), pour 40 ans la seconde n’a rien. Est-ce juste ? Non.

Dans ces commissions j’entendais souvent une réflexion qui m’irritait : « c’est la loi, ils n’avaient qu’à se marier avant », loi laissant sans ressources nombre de veuves (et veufs). Quand on se marie à 25 ans, que c’est un échec, que l’on refait sa vie, je comprends tout à fait que l’on ait pas envie de recommencer de suite les mêmes erreurs. Le divorce n’est pas une partie de plaisir, et est très souvent sources d’ennuis financiers pendant des décennies. Faire une erreur doit conduire à la prudence, et notre législation de doit pas pousser à refaire des erreurs coûteuses.

Pour l’anecdote, un dossier que nous avons eu à traiter. Le Dr Z est décédé, laissant 3 veuves. Les réversions sont liquidées et réparties sans problème au prorata du nombre d’années de mariage. Quelques mois plus tard nous recevons la lettre de l’avocat d’une dame qui réclamait l’intégralité des droits, ayant été brièvement mariée au confrère, avant les 3 autres, et dont le divorce n’avait jamais été prononcé, rendant caduque les 3 autres mariages ! C’est la loi, comment déroger sans se retrouver au tribunal ? Et que penser de jeunes de 30 ans qui se marient avec un plus de 60 ans, conduisant à de belles réversions en perspective ?

Les règles d’attribution des reversions datent d’un temps ou les divorces étaient exceptionnels. Notre société a évolué, pas les règles, et il est dommage que cette réforme n’en profite pas pour faire évoluer ces règles. Divorces, concubinage, familles recomposées, pacsés, mariages homos,.. En la matière la législation doit s’adapter, ce n’est pas aux citoyens de subir des règles qui ne correspondent plus à notre mode de vie. Le débat sur la réversion et la société actuelle n’a pas eu lieu. Ne faut-il pas aussi réfléchir à une distinction entre divorcé et veuf (cas de Mme Y). J’ai personnellement une proposition simple, basée sur tous les exemples vécus : ouvrir des droits aux concubins et déclarant la situation de famille et l’ayant droit à réversion, cela règle simplement tous les exemples injustes décrits ci-dessus. C’est le cotisant qui décide pour qui on l’oblige à cotiser

Gérard Maudrux

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21 commentaires

  1. et si on limitait les pensions de reversion à celles et ceux qui se sont mariés avant la retraite…
    est il normal qu un homme, retraité 80 ans, se marie avec une femme de quarante ans, et qu elle touche sa pension apres veuvage pendant quarante ans(pour un ou deux ans de mariage)?

    • C’est une option qui peut rendre plus juste certaines situation, et inversement pour d’autres. Le système (le plus) parfait n’est pas évident, pour moi il passe par la comptabilisation des années effectivement passées dans le foyer.

  2. Les clauses relatives à la réversion dans la réforme me semblent de bon sens.
    Celle-ci serait réservée au conjoint survivant d’un couple marié au motif que le mariage implique un principe de solidarité entre époux ce qui ne serait pas le cas des autres unions. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
    Il serait prévu que les droits des ex-conjoints seront fermés par les divorces. Ce serait au juge des affaires familiales d’intégrer la question des droits à la retraite lors des divorces par le biais des prestations compensatoires. Donc, seul le dernier conjoint marié serait bénéficiaire de la réversion.
    L’union libre, le pacs, le mariage ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients, le mariage est le plus engageant, cela me semble normal que la solidarité entre conjoints soit plus forte.
    Mais que va devenir cette réforme alors que les français spéciaux des régimes spéciaux menacent encore une fois de bloquer le pays?

    • J’avais lu trop vite que le renvoi aux tribunaux concernait les litiges et la prestation compensatoire. Effectivement les droits des ex-conjoints disparaissent. C’est pour moi une critique de plus et une perte de droits injuste. Prenons le cas d’un confrère très occupé, 3 enfants à élever, sa femme cesse son travail au 3e, c’est mon cas, pour s’occuper des enfants et du foyer. Maintenant, ce n’est plus mon cas, mais le confrère en fin de carrière décide de partir avec sa secrétaire (cas courant). Avec la réforme, la femme divorcée (de plus c’est lui qui part, pas elle) a une double peine, perdant son foyer et tous ses droits à la retraite, et n’a pu se constituer des droits propres ayant tout à faire dans le foyer son mari se déchargeant (c’est mon cas). Quand à la seconde, elle touche le jackpot, totalité de la réversion pour quelques années de mariage sans avoir à s’occuper du foyer, des enfants, du mari qui travaille. Décision lamentable pour gagner 3 francs six sous.

      • Ce serait la même chose si le cotisant avait le droit de désigner le/la bénéficiaire de la réversion. La réforme compte sur le juge prononçant le divorce pour ne pas léser la première épouse.
        Il ne peut y avoir de solution idéale. Pourquoi faudrait-il que les règlements soient là pour pallier à l’irresponsabilité des individus. Quant à la différence de traitement entre mariés et autres conjoints il faut noter que les mariés sont solidaires entre eux mais aussi avec les parents de l’autre conjoint en cas de dépendance, pension alimentaire. Cela mérite bien un traitement de faveur pour la réversion.

    • Non. Le Pacs ou le concubinage n’ouvrent pas droit à une pension de réversion (contrairement à l’Allemagne ou la Suède), même si des enfants sont nés de cette union. La pension de réversion est toujours réservée aux conjoints mariés, ou ayant été mariés.

    • Il va falloir bien calculer sa date de décès, et l’ordre dans le couple.Entre celui qui gagne le plus et celui qui gagne le moins, l’un devra se dévouer dans l’intérêt général.

  3. Cette mutualisation permet de sucrer une partie de sa pension personnelle à un veuf qui aurait eu l’essentiel des revenus du couple. C’est vraiment tordu.

  4. Une injustice de plus
    Femme médecin ayant cotisé 176 trimestres dont 4 rachetés sur les conseils de la carmf je ne perçois qu une retraite de base calculée sur 166 trimestres sous prétexte que l âge de mon départ a la retraite est 62 ans
    Impossibilité de me faire rembourser les trimestres rachetés qui ne me rapportent rien ni de les donner à mon mari médecin également à qui il manque des trimestres
    Il faut souligner aussi que la retraite de base de la carmf soit 633,37 est inférieure à la retraite de base 695,59 du régime général
    Nous sommes vraiment pris pour des idiots

    • Certes on nous prend plus pour des vaches à lait mais aussi pour des idiots. Comme vous je suis parti à 62 ans et croyez-moi je ne le regrette pas une seule seconde. Je peux enfin faire tout ce que je ne pouvais pas auparavant car il fallait bosser comme un tordu. La CARMF nous dit qu’en 2005 l’espérance de vie à 62 ans pour un médecin était de 22.02 ans pour les hommes et 26.59 ans pour les femmes. Gageons qu’en partant à la retraite à cet âge là on doit encore y gagner….statistiquement bien sûr. Et ça personne ne pourra nous l’enlever et ça n’a pas de prix. Je vous souhaite une belle et heureuse retraite

  5. A contrario des quantités de veufs et veuves évitent de se remarier pour ne pas perdre la réversion. Que prévoit (ou pas) la réforme?

  6. Éléments très intéressants (et non polémiques).
    Le cas 1bis est peut être tiré par les cheveux (et vous le reconnaissez) mais montre la piètre qualité de la rédaction.
    Enfin la 2ème partie évoque des questions très actuelles et l’obsolescence des règles. Au minimum il ne devrait y avoir aucune différence entre mariage et PACS. Le concubinage (déclaré?, notoire?…) pose d’autres problèmes; comment prouver sa réalité; comment éviter les fraudes?

    • C’est le problème principal si on modifie, il faut y réfléchir, mais est-ce grave ? Un nom ou un autre, tant qu’il n’y en a pas deux. De plus déjà rien que le fait de déclarer quelqu’un va faire réfléchir à la situation et la faire régulariser, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, ce qui pose des problèmes trop tard et fait perdre des droits à ceux qui en ont besoin.

    • Après réflexion, on peut valider les droits des concubins déclarés, si mariage un jour derrière. Si pas de mariage, même tardif, droits non validés. Ainsi 3 ans de concubinage seul ne donne rien, ce qui est normal, par contre un concubinage régularisé tardivement rétablit les droits. C’est d’ailleurs ce que nous faisons en commissions pour déroger lorsqu’il y a moins de 2 ans avant décès (ce qui ne donne aucun droit). Si concubinage ancien, on déroge, sinon on considère que ce mariage tardif est peut-être arrangé, (on fait faire une enquête). Par contre dans le cas cité de notre confrère décédé, il n’y a pas dérogation : deux mariages, répartition au prorata, le long concubinage ne peut compter. Avec ma proposition, il compte.