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Bismarck : le retour

Otto von Bismarck est connu entre autres pour avoir « inventé » la répartition. S’il ne l’a sans doute pas « inventé », il a été le premier à en faire un système universel, étendant à tout un pays ce système de retraite dans le but à l’époque de rendre les peuple dépendant directement de l’Etat, non d’autres organismes. Si l’Allemagne a depuis tiré les conséquences néfastes de l’évolution de la démographie avec une répartition qui a terme va dans un mur, en France, bien qu’on le sache depuis des décennies, la réforme prévue prend le chemin inverse de ce qui se fait dans le monde entier, mettant l’accélérateur en marche vers le mur, étendant cette répartition et supprimant toute possibilité d’y déroger, supprimant même les 2 ou 3 régimes en capitalisation (y compris la RAFP des fonctionnaires) qui seront absorbés par le régime universel, tout répartition. Plus grand, plus gros,.. totalitaire.

Le système Bismarckien a été appliqué en France pour certains par « le père de la sécurité sociale » Pierre Laroque à la libération, avec l’accord du général De Gaulle. En fait ils n’ont fait qu’entériner un décret-loi du 14 mars 1941 du régime de Vichy, décret-loi qui remplace la capitalisation qui avait cours depuis plus d’un siècle dans certaines branches, par la répartition, en créant l’AVTS (Allocation aux vieux travailleurs salariés), avec prestations indépendantes des cotisations versées. Les réserves des caisses privées devenues inutiles sont alors confisquées, les allocations étant servies grâces aux cotisations, principe de la répartition. On ne cotise plus comme par le passé pour sa retraite, mais pour celle de ceux qui sont actuellement à la retraite, la nôtre sera financée par les actifs de demain. Ces réserves récupérées étaient de 20 milliards de francs.

Cette réforme, très rentable sur le plan politique, a été depuis validée et utilisée par tous les dirigeants successifs. L’Etat « garantit » et dirige les retraites (fixe les taux de cotisations, les prestations, l’âge de départ), et les utilise à des fins électoralistes (retraite à 60 ans). Depuis des décennies, tel le chevalier blanc, quel gouvernement n’a pas « sauvé » au moins une fois les retraites (avec votre argent, décrétant de nouvelles mesures coercitives) ? Le hic est que les retraites ne sont en rien garanties par l’Etat qui le fait croire, mais qui dès le départ n’a pris aucun risque en faisant des caisses de retraites des organismes de droit privé.

Pétain, Laroque et De Gaulle avaient eu toutefois la sagesse de n’imposer aux français qu’un régime de base (oubliant au passage ceux qui sont devenus aujourd’hui les régimes spéciaux, l’exception inégalitaire étant un travers bien français), permettant à toutes les catégories professionnelles de constituer leurs propres régimes complémentaires.

Le Président actuel a décidé de revenir aux sources : fini les régimes professionnels autonomes, dirigés par chaque profession, au profit d’un régime universel englobant régimes de base et complémentaires, le tout par répartition, dirigé par l’Etat (via un organisme de droit privé déchargeant l’Etat de toute responsabilité en cas de problème ?). Comme en 1941, il récupèrerait au passage les réserves de toutes ces caisses privées (plus de 160 milliards d’euros), y compris celle de la RAFP (retraite additionnelle de la fonction publique, régime en capitalisation créé en 2003 par Fillon). Ces caisses n’en auront plus besoin pour garantir leurs retraites complémentaires, qui seront garanties par les cotisants du régime universel, c’est à dire tout le monde.

Le gouvernement explique à tout le monde que ce sera 3 PSS (plafond de la sécurité sociale), c’est pour ne pas avoir à créer de régime complémentaire pour les fonctionnaires et les régimes spéciaux, toute leur retraite passant dans l’universel. En étendant le régime universel à 3 PSS, soit 120 000 €/an, c’est une volonté d’absorber tous les autres régimes complémentaires. Pour les médecins la part au dessus de 3PSS représente 6% des cotisations actuelles, ce qui conduira à fermer ce reliquat de régime (très, très difficile techniquement). Plus d’autonomie, l’Etat décide de tout, et il a décidé de sacrifier tous les régimes complémentaires sur l’autel de la fonction publique.

Un régime universel mais uniquement de base, jusqu’à 1PSS pour tous : fonctionnaires, RATP, SNCF, élus, salariés du privé, des collectivités, commerçants, artisans, indépendants, professions libérales,.. Oui, absolument oui, pour assurer un minimum vieillesse, avec à revenu égal, cotisation égale, et à cotisation égale, retraite égale, et au delà, des régimes complémentaires autonomes organisés pour et par chaque profession. Les fonctionnaires, les régimes spéciaux sont des salariés comme tous les salariés, avec un employeur. Ils ont une place naturelle à l’Agirc-Arrco.

Aujourd’hui l’employeur de ces régimes spéciaux finance 100% de la retraite. Demain il pourrait ne financer que le surcoût des privilèges pour garantir les droits « acquis », qui s’éteindraient progressivement avec le temps. Les nouveaux droits seraient à la charge de l’Agirc-Arcco, dans les mêmes conditions que tout salarié, universalité et égalité voulue par le Président. En intégrant ces droits « acquis » tels quels dans le régime universel, aurait-il l’intention de se décharger de leur coût sur tous les français, et récupérer ainsi des engagements se chiffrant par plusieurs centaines de milliards ?

On retrouve dans la situation actuelle d’autres similitudes avec Bismarck. Dans les biographies de ce dernier, il lui est reproché son manque de respect envers le droit son cynisme envers la démocratie, les valeurs libérales et humanistes, traits qui carractérisent nos énarques.  Bismarck ne supportait ni les syndicats, ni les partis dont il a toujours essayé de réduire l’importance ainsi que celle du parlement. Déclaration de Bismarck au Reichstag 9 juillet 1878, « Le gouvernement ne se soumettra jamais à la domination d’aucun parti».

 Chez nous le parti au pouvoir supporte de moins en moins ce que de plus en plus d’élus dénoncent comme un pouvoir trop pyramidal, la pyramide ressemblant d’ailleurs plus à la tour Eiffel, tant la pointe est éloignée de la base.  A la question posée par un interlocuteur au responsable chargé de la réforme, « Etes vous sûr que l’Assemblée votera cela ?», la réponse a été, « Les députés feront comme on leur dira de faire». Quant à l’opposition elle compte encore moins.

En ce qui ce-concerne les syndicats, ils sont tous convoqués, non pour négocier, mais pour entendre dire : « voilà ce que nous allons faire ». Toutes les décisions sont centralisées, personne ne sait qui est consulté sur quoi. En sortant récemment de Matignon, le secrétaire général de la CGT disait récemment : « On nous convoque uniquement pour nous expliquer ce qui va être fait », et on entendra dire : « après consultation, nous avons décidé..».

Un des biographe écrit de Bismarck : « Personne, d’où qu’il vienne, ne peut pas ne pas reconnaître qu’il était la figure centrale et dominante de son époque, qui, grâce à son incroyable puissance et une énergie tyrannique, a montré la voie. Personne ne peut lui retirer sa fascinante force d’attraction, pour le meilleur et pour le pire. » Cela ne vous fait pas penser un peu à quelqu’un ?

Gérard Maudrux

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4 commentaires

  1. Bonjour Gérard

    Tu fais ta rentrée avec Bismarck , Laroque et De Gaulle, les précurseurs du régime par répartition,lorsqu’il y avait moins de retraités et plus de cotisants mais tu aurais aussi pu la faire avec une autre approche de la situation actuelle qui s’apparente plus à une pyramide de Ponzi..
    J’ai retrouvé un article d’un économiste de 2013 , qui devrait être analysé et argumenté en ce moment de préparation d’une réforme qui se prépare à mutualiser et siphonner :
    ” les régimes complémentaires, professionnels autonomes gérés par les professionnels eux mêmes “comme tu les as bien définis.
    tu retrouveras cet article écrit par jacques Bichot à l’URL suivant :

    http://www.economiematin.fr/news-reforme-retraites-pyramide-ponzi

    dont le titre est :
    La retraite à la française est-elle une pyramide de Ponzi qui ne dit pas son nom ?
    Cet article ancien mérite une fine analyse en fonction de la création du régime universel de retraite et de son évolution ..actuelle et future..

    Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l’université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l’économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l’auteur de “Les enjeux 2012 de A à Z” aux Editions de l’Harmattan, de “La mort de l’Etat providence ; vive les assurances sociales” avec Arnaud Robinet, de “Le Labyrinthe ; compliquer pour régner” aux Belles Lettres et de “La retraite en liberté” au Cherche Midi.

  2. Bonjour,
    Les députés et ministres sont pour la retraite par répartition sauf pour eux qui préfèrent la capitalisation. A quand l’alignement de toutes retraites sur leur système, puisqu’ils ne souhaitent pas rejoindre le nôtre ?
    cordialement

  3. Désolé pour ces vacances prolongées. Moi aussi je suis de retour, mais pour une vision et une information différentes de ce que vous pouvez lire ici ou là.