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Réforme des retraites (5) : 1 ou 3 PSS, ou comment faire mal avec du bien.

Lors des premières réunions de « consultation »de la réforme, il avait été évoqué un choix possible entre 1 et 3 PSS (Plafond de la Sécurité Sociale). 1 PSS créait un régime universel limité en gros aux régimes de base, 3 PSS englobait base et tous les régimes complémentaires qui disparaissaient en dessous de 3 PSS.

La réponse a été unanime : 1 PSS. La décision a été « unanime » : 3 PSS, fin du dialogue, début de la dictature. Dommage, car en changeant le 1 en 3, on transforme une bonne réforme qui aurait été acceptée et saluée par tous, en une réforme inacceptable, dont tout le monde aura des raisons de se plaindre. Tous les défauts de cette réforme qui avait de bonnes intentions au départ sont dus à ce seul point.

Pourquoi ce choix ? Il est très simple, avoué au départ. A 1 PSS, c’est un super régime de base, dans lequel on peut mettre tous les régimes spéciaux et les fonctionnaires pour une partie de leur retraite, mais obligeant soit de leur créer un régime complémentaire (ou les intégrer dans l’Agirc-Arrco), soit à continuer plus ou moins comme avant. Avec 3 PSS, cela règle le problème de ces régimes, cela couvre toute leur cotisation et toute leur retraite, sans avoir besoin de faire autre chose.

LES RÉGIMES COMPLÉMENTAIRES SACRIFIÉS SUR L’AUTEL DES RÉGIMES SPÉCIAUX

C’est uniquement pour cela que ce choix a été fait. La première conséquence est que cela fait disparaître de fait tous les régimes complémentaires (même si on nous dit qu’ils peuvent perdurer au-delà de 3 PSS). On a décidé de sacrifier les régimes complémentaires professionnels et autonomes sur l’autel des régimes spéciaux, n’ayant pas le courage de leur créer une caisse de retraite (ils n’en ont pas) spécifique avec les mêmes règle que le commun des mortels. Au passage des complémentaires professionnelles au-delà de 3 PSS (120 000€), cela fait des régimes autonomes réservés aux riches ! Politiquement incorrect. L’ont-ils vu avant de le proposer ?

Les fonctionnaires et régimes spéciaux, auront eu raison du travail fait depuis 75 ans par toutes les autres professions. Ces professions avaient elles-mêmes peaufiné patiemment ces régimes, en fonction de leurs moyens, de leur culture, de leur mode d’exercice, de leurs besoins propres. Les professions à gros revenus n’ont pas fait les mêmes choix que les professions à bas revenus, il y a des professions à carrière courte, d’autres longues, etc. Pour les libéraux, c’est clair : disparition des complémentaires, et ils ne piloteront plus rien n’ayant pas voix au chapitre dans le futur CA. En matière de retraite, ils n’existeront plus, et seront soumis au bon vouloir des syndicats de salariés (et de fonctionnaires, ce sont les mêmes).

Fin des complémentaires, ignorance des particularités professionnelles, mais aussi et surtout fin de l’autonomie et des libertés avec une véritable étatisation de la totalité de la retraite malgré l’annonce d’un vaste CA fantoche, avec des administrateurs désignés (par 10% des actifs) et non plus élus par les affiliés, les décisions majeures (âges, taux de cotisations, valeur du point,..) se feront par décrets. Quand l’Etat s’occupe de nos affaires, il le fait toujours plus mal , trop tard et plus cher. 

Les différences professionnelles, elles, persisteront. Cela obligera à des dérogations qui seront mal vécues par ceux qui ne les auront pas dans un système universel qui ne le sera pas. Chacun aura le sentiment d’être dépouillé de quelque chose, au profit d’autres. Les régimes spéciaux persisteront, avec dérogations et bonifications diverses, prévues par la réforme, et qui seront obtenues par le chantage. Il n’y aura que des mécontents : ceux qui n’ont pas assez et ceux qui n’ont rien.

ERREURS DE RECOUVREMENT ET DE LIQUIDATION EN VUE

Alors qu’à quelques exceptions près le recouvrement, les liquidations étaient bien faites dans les caisses professionnelles, le monstre de la centralisation qui arrive  le fera très mal, comme on le constate au RSI (catastrophe industrielle selon la Cour des Comptes) ou à la CNAV (10% d’erreurs, délais inacceptables). Cela va devenir la norme, en multipliant par 4 les incidents et les coûts. Les frais de fonctionnement de ma caisse sont de 1,2%, on passera à 4-5% voire plus, soit 3 à 4% de pensions en moins, pour un moins bon service (0% d’erreur relevé par la Cour des Comptes).

Alors que la répartition bat de l’aile et n’ira pas mieux demain, alors que le monde entier cherche des alternatives et les introduit progressivement, avec le système universel qui couvre la totalité de la retraite, la France renforce celle-ci en empêchant ensuite tout retour en arrière. Le monstre, avec ses futurs besoins, empêchera toute possibilité d’épargne digne de ce nom à côté.

L’absorption des complémentaires entraîne également le détournement des réserves. Ainsi on sanctionne les fourmis au profit des cigales. La Fontaine doit se retourner dans sa tombe en voyant qu’il n’y a plus de morale dans ce pays, lui qui nous l’a si bien enseignée.

POUR UN REGIME DE BASE UNIVERSEL

Et pourtant la même réforme appliquée au seul régime de base tendait les bras, sans avoir aucun des défauts cités ci-dessus, défauts qui ne viennent que des 3 PSS au lieu de 1. Une cotisation unique de 10 à 10,5% pour tous : salariés, artisans, commerçants, libéraux, régimes spéciaux, fonctionnaires, élus. Une cotisation de 7,25 à 7,75% pour les employeurs, soit à 0,1 à 0,2% près ce qui existe chez tous, y compris les régimes spéciaux et la fonction publique. Une cotisation solidarité peut se concevoir entre 0 et 3PSS, comme cela existe déjà chez beaucoup. Un grand régime de base universel, avec à revenu égal cotisation égale, à cotisation égale, retraite égale, fait pour assurer un minimum vital à tous. A côté laissons un espace de liberté pour que les professions s’organisent selon leurs particularités, leurs différences, et laissons-les aussi faire évoluer leur système de retraite pour le mettre en adéquation avec l’évolution de notre civilisation, au lieu de les obliger à un formidable retour en arrière.

Gérard Maudrux

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17 commentaires

  1. Il faut laisser un espace de liberté, avec un bon régime de base pour tous et la possibilité d’adapter ses revenus, après la cessation d’activité, en fonction de ses choix et de ses possibilités.
    Merci Gérard.

  2. A qui profite le crime?Mais voyons à l’Etat et sa troupe d’électeurs!il faut assurer la Réélection!Donc, si je comprends bien,outre que le fait d’avoir cotisé jusqu’à soixante dix ans sans droits à partir de soixante-trois,d’avoir travaillé en moyenne cinquante cinq heures par semaine,sans congés payés évidemment,je serai récompensé par une punition de moins trente-huit pour cent!Je dois mettre ma maison en vente!

    • Bravo Gérard d’avoir repris le combat comme en 1995 plan Juppé C’est le même état voleur menteur donneur de leçons qui était à la manœuvre pour confisquer toutes les réserves des régimes complémentaires des professions libérales qui gèrent très bien leur propre argent et l’utiliser pour combler le gouffre des régimes spéciaux
      A bientôt au CA de la CARMF

  3. Il me semble avoir lu que la CFE-CGC regrettait la limitation à 3 PSS pour le RU (en pensant aux cadres qui gagnent plus). Est-ce vrai?

  4. Est il possible encore de dire non à cette réforme ?
    Les syndicats médicaux notamment la Csmf sont ils conscients que les retraites des médecins vont potentiellement baisser, et si les finances publiques se dégradent, les retraites les plus élevés seront diminuées beaucoup plus que les petites retraites. Sans compter le hold up sur les réserves de la Carmf.
    N’est il pas possible de faire un recours si la loi passe auprès de la cour constitutionnelle ou auprès d’une instance européenne ?

    • Difficile d’attaquer une loi qui aura été validée par le conseil constitutionnel. Pour les décrets d’application oui c’est long mais ne change pas l’essentiel. Enfin que pèsent quelques centaines de milliers de travailleurs qui n’ont pas la possibilité de bloquer le pays face à 25 millions de travailleurs ?

  5. Au début, j’étais favorable au RU à 3 PSS pour enfin mettre un terme aux régimes spéciaux. Mais comme vous le dites, ils risquent de revenir d’une façon opaque par des exceptions dont le principe est déjà prévu. Que ceux qui risquent, par leur métier, de se prendre une balle dans la peau fassent exceptions ne me gène pas, mais que d’entrée, les aiguilleurs du ciel fassent exception est un scandale car leur conditions de travail prennent largement en compte leur spécificité.
    Vos billets précédents m’ont convaincu que le RU à 1 PSS est bien meilleur.
    Je ne vois pas la difficulté à créer des caisses complémentaires pour les régimes spéciaux car, sauf pour les fonctionnaires d’Etat, les caisses existent déjà, il suffisait de leur laisser uniquement la partie complémentaire. Mais il aurait fallu que l’Etat ait le courage d’arrêter de verser les subventions d’équilibre pour que tout le monde soit traité équitablement par l’Etat. Seules les compensations inter-régimes basées sur la démographie devraient subsister car qui, en 1945, aurait prévu la fin des mines et autres industries?
    Encore faut-il que sur le plan démographique tout le monde applique les mêmes règles. Il est facile d’avoir une démographie défavorable et se faire payer sa retraite par les autres en partant à 52 ans.
    Le courage n’étant pas le point fort de l’Etat français, je pense que le Président et son gouvernement ont choisi 3 PSS pour dire aux régimes spéciaux, il n’y a qu’un moule vous êtes bien obligés d’y enter. Sauf si les exceptions au RU sont négociées autour d’une table avant sa mise en place, je pense que les autorités ont probablement fait le pari que les demandes d’exceptions par le conflit ne seraient pas comprises des français. Nous sommes les victimes de la faiblesse des gouvernements envers une minorité nuisible depuis 70 ans.

  6. ….Apparemment il en va de la réforme des retraites comme des finances publiques de la France publiées par le FMI concernant l’état des finances publiques des 19 pays de la zone €. Incompétence
    – Déficit public de la France 3.2%, le plus lourd, loin derrière la moyenne européenne (1%)…y compris l’Italie (2.7%)
    – Loin également pour la dépense publique 55.6% de notre PIB contre 46.9% en moyenne pour la ZE
    – Loin aussi pour les prélèvements puisque les recettes publiques captent 52.4% du PIB contre 45.9% pour la ZE.
    – Pour 2019 nous sommes avec la Finlande (-0.3% PIB) le seul pays européen à être en déficit (-1.7% PIB) loin derrière la Grèce ou l’Italie qui sont en excédent.
    Dans son édito le journaliste démonte l’argument toujours avancé par les politiques en place selon lequel chaque gouvernement hériterait d’un passif responsable. Faux ! le FMI le démontre avec un indicateur nommé “équilibre primaire des comptes” qui ne tient pas compte de la charge de la dette et permet d’évaluer la qualité des gouvernants en place….A n’en point douter nous avons les meilleurs (ça c’est de moi)
    Pour finir le journaliste met en encadré: Une humiliation donc pour la France malgré la présence d’un inspecteur des finances publiques à sa tête.
    (Source: Edito Denis JEAMBAR – Nice matin 10/09/2019 – Titre: Bonnet d’âne)

  7. Merci, mon cher confrère, pour vos analyses ultra détaillées et vos explications sur un sujet opaque à souhait!
    Mais finalement, à qui profite le “crime”…?

      • Mais ce ne seront pas les décideurs actuels qui auront à gérer les conséquences de leurs décisions iniques …
        Depuis des lustres la politique de la patate chaude …. ou après moi le déluge …
        Un illuminé aurait dit “gouverner c’est prévoir” …..

  8. J’irais plus loin : l’état, la collectivité assure et impose une retraite minimum avec 1 PSS pour tout le monde aux mêmes conditions et après, chacun fait ce qu’il veut : je cotise pour une meilleure retraite si c’est mon choix de vie ou je profite de la vie plus tôt (en ne cotisant pas en plus de ce régime minimum) en acceptant que ma retraite sera plus faible ensuite. Là on redevient libre et responsable.